CHAPITRE IX

A l'annonce de l'effroyable catastrophe qui allait s'abattre sur la Terre, un sursaut d'affolement agita l'assistance et des femmes, des hommes même, sur les gradins, ne purent retenir leurs larmes, déchirés de savoir nombre de leurs parents et amis irrémédiablement condamnés.

Sanorsh Vaxhan fit une pause, respectant la violente émotion suscitée par ses paroles, puis il leva la main pour manifester son désir de poursuivre :

— Je sais combien cette pénible révélation vous affecte, mes amis, néanmoins, vous devez être réalistes : aucune technologie des races pensantes de l'univers ne pourrait éviter ce cataclysme. La seule chose en notre pouvoir est de sauver un maximum de Terriens... judicieusement sélectionnés. Sur le plan de la morale absolue, ce choix paraîtra arbitraire qui abandonnera à une mort certaine la majorité de la population, cependant, impuissants à évacuer tous les habitants de la Terre, nous sommes bien forcés de procéder à ce choix.

» Les critères adoptés se fondent sur la nécessité première de garantir la survie de l'espèce humaine et la poursuite de son évolution — sans hiatus — sur le monde que nous lui destinons. Pour cela, il convient de sauver d'abord tous ceux qui, de par leur formation, leurs spécialités, leur savoir, seront en mesure d'éduquer, d'enseigner, d'administrer un embryon de colonie implantée sur la planète Terra Deux ; ainsi avons-nous baptisé le monde où vous allez être évacués. Un monde vierge, aux inépuisables richesses naturelles et où nous avons édifié Nohapolis, une grande cité prête à vous accueillir. C'est de là, de cette métropole actuellement sans âme, que vous rayonnerez pour explorer puis exploiter les autres territoires. En cela, vous pourrez compter, bien entendu, sur notre aide technique et matérielle complète.

» Depuis près d'une semaine, nous avons enlevé des chercheurs, savants, techniciens, hommes de lettres, journalistes, artistes, juristes, administrateurs et bien d'autres représentants de l’intelligentzia humaine, mais cette sélection est loin d'être suffisante. Il conviendra de rassembler aussi des hommes, des femmes, des familles jeunes de toutes les couches de la population qui constitueront le ferment de la société nouvelle.

» Pour mener à bien ce deuxième stade de la sélection, puis de l'évacuation vers notre base, c'est à nos amis du Collège invisible et des groupes de recherches en ufologie que nous ferons appel, aujourd'hui même.

Il parcourut des yeux l'assistance, silencieuse et encore sous le coup de l'émotion, avant de préciser :

— Pour exécuter ce plan, il vous faudra retourner sur la Terre. Il est superflu de vous rappeler quels dangers vous allez affronter, en cette période de sismicité croissante. Je sais pouvoir compter sur vous, sur votre abnégation, votre sens du civisme pour réaliser cette tâche périlleuse dont les risques ne sauraient être minimisés... Naturellement, le silence le plus absolu devra être gardé sur les cataclysmes qui, de jour en jour, s'abattront sur le globe. Certains géophysiciens et volcanologues ne peuvent pas ne pas l'avoir compris : ceux-là savent que l'humanité est condamnée. Puissent-ils, devant le caractère inéluctable de cette Apocalypse, avoir la sagesse de se taire afin de ne pas ajouter à la mortelle angoisse qui étreint déjà les Terriens.

» J'ose espérer enfin que, informés par vos soins, les chefs des gouvernements mettront tout en œuvre pour coopérer au sauvetage des pionniers destinés à perpétuer l'espèce sur Terra Deux.

» A bord de notre base spatiale se trouvent rassemblés cinq cents astronefs identiques à ceux qui vous ont enlevés. Sur la face cachée de la Lune stationnent, par ailleurs, dix mille cosmonefs de transport pouvant recevoir, chacun, un bon millier de passagers. Logiquement, si rien ne vient modifier nos plans... et si la catastrophe finale ne survient pas prématurément, nous devrions donc pouvoir évacuer environ dix millions de personnes.

» Parmi les dangers qui vous guettent, sur la Terre, il faut, je crois, pratiquement exclure celui du groupe 54/12, désorganisé par les séismes à l'instar de la plupart des services officiels de Californie. Ce groupe, dont le contrôle échappe au gouvernement américain, est à la solde d'un « méta-trust », un regroupement secret de trusts industriels ayant des filiales plus ou moins occultes en d'autres pays. Voici une vingtaine d'années, ce super-carte acquit la certitude qu'une espèce pensante observait la Terre à bord d'astronefs appelés « soucoupes volantes » avec une pointe d'ironie pour les ignorants. Ce « méta-trust » crut comprendre qu'un jour, un contact officiel s'établirait entre cette espèce pensante et les Terriens. Tablant sur l'hypothèse de nos intentions pacifiques, les chefs de cette synarchie industrielle et financière commencèrent à redouter le pire pour leur hégémonie : n'allions-nous pas, en fournissant par exemple aux Terriens une aide technique supérieure à la technologie existante, provoquer des bouleversements économiques et entraîner ainsi l'effondrement des trusts ?

» A défaut de pouvoir empêcher cet effondrement, il fallait à tout le moins en reculer au maximum l'échéance en discréditant pour commencer les « soucoupes volantes » et les « fous » qui les identifiaient à des astronefs venus d'outre-ciel. Sur le modèle du Groupe 54/12, déjà existant et chargé, sous le mandat de l'ex-président Eisenhower, de missions très spéciales, relevant du contre-espionnage, les chefs du « méta-trust » constituèrent un Groupe 54/12 parallèle, dont ils purent orchestrer et contrôler minutieusement les activités. Ainsi furent financées de vastes campagnes de dénigrement avec, de façon plus discrète, un corollaire inattendu pour les ufologues : l'assassinat, camouflé en suicide ou en crise cardiaque, de ceux d'entre eux qui devenaient trop gênants !

» Cette politique d'étouffoir reçut une aide précieuse — mais involontaire, il faut bien le dire — de la part de nombreux savants bien-pensants dont l'étroitesse d'esprit leur interdisait d'admettre pour vraie notre venue sur la Terre. Victimes d'un blocage psychologique, ils avaient décrété, une fois pour toute, que nous n'existions pas !

» Oublions donc le Groupe 54/12 pour parler, à présent, de votre mission... Car elle sera votre mission bien que, pour l'accomplir, nous soyons à vos côtés...

 

*

 

Ces dernières vingt-quatre heures, Raymond Dorval et ses compagnons n'avaient guère eu le loisir de se reposer, aussi s'étaient-ils prêtés volontiers, sur le conseil de Sanorsh Vaxhan, à une séance de relaxation assortie d'une irradiation régénératrice. Une heure plus tard, en quittant le centre bio-régénérateur de la station orbitale, ils ne ressentaient plus rien de leur fatigue ni de leur insomnie.

Tom, le gamin sauvé la nuit précédente par leurs soins, s'était vu confier à une famille de chimistes dont les deux enfants, à peu près du même âge, l'avaient adopté avec joie ; insouciance de l'enfance qui, fort heureusement, ignorait les affres des adultes en ce « prélude à l'Apocalypse ».

Dorval, Forrest et leurs compagnes, outre le professeur Hammerstein, avaient reçu la délicate mission de prendre contact avec le Président des Etats-Unis. Le souci de ce choix reposait sur une évidence : devenus mondialement célèbres à la suite de la conférence de presse qui avait clôturé la Convention, ils étaient tout désignés pour obtenir une audience et entraîner la conviction de l'autorité suprême de ce pays.

A Sanorsh Vaxhan, qui dirigeait leur groupe d'opération, Forrest avait fait remarquer, non sans pertinence :

— De toute manière, n'importe quels Terriens « moyens » débarquant à vos côtés d'un astronef luminescent auraient eu l'assurance d'être pris en considération ! Ce n'est pas tous les jours, en effet, qu'une soucoupe volante vient écraser les pâquerettes devant la Maison-Blanche !

 

*

 

Acquiesçant à la demande des Terriens, Sanorsh Vaxhan consentit à survoler la côte du Pacifique avant de mettre le cap sur le district de Colombie et Washington.

Aux trois quarts détruit, Los Angeles laissait apercevoir d'innombrables foyers d'incendie qui n'avaient pu être circonscrits en raison de la rupture des canalisations d'eau. Les stations-service, leurs réservoirs d'essence éventrés, avaient littéralement explosé ; le feu faisait rage de toutes parts, consumant ce qui pouvait l'être encore dans ce chaos de ruines.

Le grand carrefour de Sunset Boulevard et Figueroa Street avait disparu et cédé la place à un lac formé par la Los Angeles river ! Sortie de son lit à la suite d'un brusque exhaussement de terrain, la rivière avait noyé l'Elysean Park et les quartiers-est d'Hollywood !

Au fur et à mesure que l'astronef s'éloignait de la côte pour progresser vers l'intérieur, les villes survolées présentaient de moins en moins de traces de destruction. La zone la plus affectée par les séismes — du moins aux Etats-Unis — suivait donc bien la faille de San Andréas qui cisaillait du nord au sud la Californie. Ils en eurent confirmation en survolant le Kansas, le Missouri, le Kentucky et la Virginie pour gagner le district de Colombie. Les cités entrevues le long de cette trajectoire ne paraissaient pas avoir sérieusement souffert des tremblements de terre. Cela était particulièrement vrai pour Washington qui ne possédait presque pas de gratte-ciel analogues à ceux des métropoles

— New York notamment — de la côte-est.

Au poste de pilotage, le commandant Thorg avait abordé la capitale fédérale par le nord, évitant ainsi le survol du Pentagone.

— Malgré cette manœuvre, vous ne craignez pas d'être pris en chasse par les escadrilles d'Andrews Field, basée sur l'autre rive du Potomac ? s'inquiéta Forrest.

Sanorsh Vaxhan le détrompa en souriant :

— Nous avons mis en circuit nos écrans d'absorption des ondes-radar, afin justement de ne point provoquer l'alerte générale. Notre repérage visuel est seul possible et va faire pleuvoir une avalanche d'appels téléphoniques sur les tours de contrôle et les services publics, mais avant que ceux-ci aient réagi, nous aurons atterri.

Evoluant avec une lenteur délibérée, l'astronef survola le Lafayette Park, descendit au point de frôler la Maison-Blanche et se posa en douceur sur l'immense pelouse, à une vingtaine de mètres seulement des colonnades de sa grande façade.

Armés de carabines à répétition, de mitraillettes Thompson ou de Colt 11/25, des hommes en uniformes jaillirent des bâtiments et se déployèrent en cercle autour de cet engin qu'ils considéraient avec une stupeur incrédule. A travers le cockpit, Dorval et ses compagnons virent apparaître d'autres hommes, en civil ceux-là, sur le perron de la Maison-Blanche, à droite des colonnes. Parmi eux se trouvait le Président des Etats-Unis en personne, tout aussi médusé que ses collaborateurs directs, alertés par le service de sécurité.

Sanorsh Vaxhan se tourna vers le professeur Hammerstein :

— A vous de jouer, professeur. Nous attendrons votre signe pour débarquer. Je ne pense pas que ces hommes fassent usage de leurs armes en vous voyant paraître ; de toute manière, nous les tiendrons dans le collimateur de nos canons paralysants...

L'astrophysicien abandonna l'appareil et se dirigea bientôt vers le cordon de gardes qui le mirent en joue, en roulant des yeux aussi effarés que s'ils avaient vu surgir l'un de ces monstres hideux imaginés par les illustrateurs de bandes dessinées ! Moins de dix mètres séparaient le savant des marches au sommet desquelles le Président des Etats-Unis et ses collaborateurs observaient la scène. Le visage du chef d'Etat exprima soudain une intense surprise : il venait, dans cet homme en tunique jaune paille, de reconnaître le professeur Hammerstein et lançait un ordre au cordon de gardes qui laissèrent le savant s'approcher, expliquer les raisons de cet atterrissage intempestif ! Bientôt, le professeur Hammerstein se retourna, fit un geste d'appel et, une minute après, Sanorsh Vaxhan et ses compagnons empruntaient le plan incliné pour venir le rejoindre au bas des marches.

A côté de l'Antarien, le commandant Thorg paraissait plus petit encore ; bien qu'humanoïde, son étrange faciès aux yeux quasi latéraux soulevait une curiosité, un ébahissement complet chez les gardes qui avaient abaissé leurs armes.

Les Terriens et leurs amis de l'espace s'inclinèrent devant le Président qui les dévisagea en silence un assez long moment, puis, s'arrachant à cette contemplation éberluée, il cilla et les invita enfin à le suivre pour leur offrir bientôt des sièges autour d'une longue table à tapis vert jouxtant son bureau présidentiel.

L'astrophysicien présenta successivement ses compagnons et crut bon d'ajouter ces propos liminaires :

— L'extrême gravité du message dont nous sommes porteurs va nous contraindre à être brefs, monsieur le Président. Je vais laisser à Sanorsh Vaxhan, le chef de la base spatiale antarienne dans notre système solaire, le soin de vous résumer les motifs dramatiques de notre intrusion...

Une fois informés du terrible danger qui menaçait le monde, le Président et ses proches collaborateurs s'entre-regardèrent, atterrés.

— Je suis régulièrement tenu au courant des séismes et de leurs ravages de par le monde, Excellence, répondit l'homme d'Etat en s'adressant à l'Antarien, comme il l'eût fait pour un ambassadeur. Je n'ignore rien de leur gravité, de la situation alarmante qui en découle, cependant, ne croyez-vous pas que vos craintes... pourraient être exagérées ? Etes-vous certain, formellement certain, de l'issue fatale de ces cataclysmes ?

— Monsieur le Président, pensez-vous sérieusement que nous aurions enlevé tant de savants, de chercheurs, de techniciens, de personnes éminentes depuis une semaine dans le seul but de bavarder avec eux ? Je vous en conjure, chaque heure écoulée nous rapproche de l'instant fatidique ! Nous ne sommes pas des surhommes et ne pourrons sauver qu'une minorité d'habitants de la Terre, mais nous ferons tout ce qu'il est en notre pouvoir de faire pour sauver cette minorité, afin que la civilisation de ce globe se poursuive sur Terra Deux. Et vous devez, monsieur le Président, mettre tout en œuvre pour nous permettre d'accomplir ce sauvetage.

« Naturellement, si les préparatifs de cet exode ne peuvent être cachés, du moins devront-ils être présentés sous un jour mensonger afin de ne pas déclencher la panique. Les buts, les mobiles de cette vaste opération resteront notre secret...

 

*

 

Escortés par des motards aux sirènes hurlantes, les voitures officielles qui transportaient le Président des U.S.A. et la « Délégation terro-antarienne » soulevèrent une vive curiosité sur leur passage et un attroupement se forma devant la station C.B.S. de télévision où le cortège venait de s'arrêter.

Dix minutes plus tard, la téléspeakerine de service, abandonnant son habituel sourire, annonçait l'interruption du programme en cours pour permettre au Président de prononcer une allocution d'une extrême importance. Elle précisait, en outre, que cette allocution, simultanément kinescopée, serait diffusée sans interruption toutes les heures et son enregistrement sonore repris par les chaînes radiophoniques sur l'ensemble des Etats-Unis.

Dans le studio principal rapidement évacué et sur un décor de variétés qui ne convenait guère à la gravité du moment, le Président attendit le « top » du chef de plateau pour commencer :

— Mesdames et Messieurs, ce n'est pas, vous l'imaginez, sans une raison capitale que je m'adresse à vous aussi inopinément. Dans un instant, les caméras vont vous montrer le professeur Alan Hammerstein ; vous le connaissez tous depuis son extraordinaire apparition lors de la Convention Internationale tenue à Los Angeles par les groupes d'études sur les U.F.O's : ces disques volants que nous avons eu tort, je le reconnais un peu tardivement, de ridiculiser car ces appareils existent : ce sont des astronefs venus d'un autre monde et la preuve vous en sera administrée en cours d'émission...

La lampe rouge surmontant la caméra s'éteignit, indiquant au Président qu'en ce moment même sa propre image allait céder la place à celle de l'astrophysicien et de ses compagnons. Un coup d'oeil sur l'écran de contrôle le lui confirma et il put alors enchaîner, commenter ces images :

— Voici donc le professeur Hammerstein et, à sa droite, Sanorsh Vaxhan, l'Extra-Terrestre originaire d'une planète du système Antarès dont les escadres spatiales opèrent dans notre système solaire. A sa droite, cet être de petite taille — le commandant Thorg — est un Xarl, représentant d'une espèce alliée des Antariens. Ces deux couples, enfin, sont respectivement Harry Forrest, Irma Taganova, Raymond Dorval et Monica Rimbaldi, que vous connaissez également pour les avoir vus sur vos écrans lors de la conférence de presse clôturant la Convention de Los Angeles.

» L'extrême urgence des consignes que je vais vous communiquer m'interdit d'entrer dans les détails et de vous exposer la chronologie des faits ; demain, la presse, la radio, la télévision se chargeront de vous en informer. Durant la seconde diffusion de cette allocution, des images vous montreront l'astronef de Sanorsh Vaxhan qui s'est posé, il n'y a pas une heure, devant la Maison-Blanche.

» Les terribles séismes qui viennent d'endeuiller la région californienne, mais aussi de nombreux autres pays, ont causé des destructions telles que notre technologie ne permettrait pas de les réparer en un temps compatible avec la survie des populations des zones dévastées.

» Observant notre globe depuis des décennies, les Antariens viennent de m'informer — tout comme d'autres émissaires le font ou vont le faire auprès des autres chefs d'Etat — qu'ils sont décidés à nous venir en aide. Pour assurer la mise, en place de leur plan de secours, il convient de réunir dans les plus brefs délais tous les corps de métiers disponibles afin de constituer de nombreuses équipes dont le transport sur les lieux sera assuré en un temps-record par nos amis antariens.

» Tous ces ouvriers, ces techniciens devront s'installer sur place pour une assez longue période. A cet effet, ils sont expressément invités à partir avec leur famille. Le corps du génie des forces antariennes a d'ores et déjà construit sur place des habitations préfabriquées, provisoires, mais décentes et confortables pour les accueillir. Eu égard à l'urgence de ce rassemblement, les personnes concernées par ce long déplacement ne devront emporter avec elles que le strict nécessaire ; leurs meubles et leurs biens seront transportés à nos frais ultérieurement.

» Les syndicats des diverses corporations doivent établir sur l'heure les listes des techniciens, ouvriers qualifiés ou spécialisés ; en ce moment même, les services du secrétariat d'Etat à la main-d'œuvre communiquent d'ailleurs des consignes précises à tous les syndicats. Les travailleurs concernés devront répondre à l'appel et se rendre immédiatement sur les lieux de rassemblement qui leur seront indiqués. Je dis bien immédiatement !

» Dans une heure, donc à partir de seize heures trente, des astronefs de transport se poseront devant la Maison-Blanche et sur toute l'étendue des parcs, depuis le Washington Monument jusqu'au Lincoln Mémorial, en bordure du Potomac. Dans toutes les grandes villes américaines, aux emplacements qui seront désignés par les stations locales de radio et de télévision, des astronefs antariens viendront recueillir les ouvriers, techniciens, spécialistes et leurs familles. Il en ira de même partout dans le monde, dans chaque capitale et autres grandes villes épargnées par les tremblements de terre.

» Je tiens cependant à rassurer ces familles : nul problème financier ne se posera pour elles. Dès leur arrivée sur les lieux, une somme substantielle leur sera accordée — c'est-à-dire donnée, sans qu'il soit question d'en rembourser un cent — pour faciliter leur installation. Les salaires subiront parallèlement une augmentation importante.

» Priorité absolue sera donnée à l'exécution de ce plan de sauvetage qui nécessite l'application de l'état d'urgence sur tout le territoire. Toute personne qui tenterait d'entraver sa mise en place sera passible d'une lourde peine d'emprisonnement. Les régions sinistrées sont décrétées zones interdites pour permettre la seule circulation des véhicules utilitaires entrant dans l'accomplissement de ce plan de sauvetage.

» Je fais appel à votre sens du devoir, à votre esprit de solidarité pour m'aider à mener à bien cette tâche immense qui ne saurait souffrir aucun retard. En vous, repose le salut de centaines de milliers d'êtres qui souffrent, qui ont faim et qu'il serait criminel de ne pas secourir. Je signale également à vous tous que les frais de cette opération-survie seront exclusivement à la charge de l'Etat et que nulle quête, nulle collecte ne seront entreprises, cela pour vous mettre en garde contre certains escrocs toujours prêts à abuser — à leur seul profit — de la bonté ou de la charité des braves gens.

» Mesdames, messieurs, la catastrophe qui vient de s'abattre sur la Californie, celles qui ont ravagé d'autres contrées du globe doivent nous faire prendre conscience de cette vérité : devant la souffrance et la mort, que les hommes soient blancs, noirs ou jaunes, ils sont égaux en fraternité. Et frères, ils doivent s'entraider. Merci.

Ces derniers mots, le Président des Etats-Unis les avait prononcés d'une voix pathétique et vibrante. Et lorsque le signal rouge des caméras s'éteignit, accablé par ce drame affreux qu'il était l'un des rares à connaître réellement, dans ce studio, il ferma un instant les yeux, immobile, la gorge nouée par l'émotion, adressant peut-être une prière muette, une invocation à ce Grand Architecte de l'Univers qui défait ici ce qu'il rebâtira ailleurs...

Sanorsh Vaxhan se leva, vint poser sa main sur son épaule et murmura :

— Merci, monsieur le Président.

Ce dernier leva vers lui un regard bouleversé :

— Non, Sanorsh Vaxhan, c'est moi qui doit vous exprimer ma gratitude pour tout ce que vous allez faire, pour ce témoignage d'altruisme et de sublime abnégation grâce auxquels tant de gens pourront être sauvés.

L'Antarien inclina silencieusement la tête et ses yeux reflétèrent une immense pitié. L'allocution du Président, certes, était un tissu de mensonges, mais comment exécuter cette opération-survie, dans les délais dont nul ne pouvait connaître la limite, si l'horrible vérité avait été divulguée ?...